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19 décembre 2011

Unbearable Lightness

Je regarde assez régulièrement le talk show d'Ellen de Generes. L'ancienne comédienne américaine, qui était devenue célèbre en révélant dans sa propre série son homosexualité dans les années 90 (le résultat : son émission avait été tout simplement annulée et elle avait été presque bannie des écrans américains). Elle fait venir parfois sa femme dans son talk show (elles se sont mariées légalement avant qu'une nouvelle loi vienne interdire le mariage unisexe en Californie). Son épouse, je l'ai connue à une époque lointaine, elle interprétait le rôle de cette blonde dominante, froide mais extrêmement sexy dans la série la plus populaire de l'époque, Ally McBeal. Son personnage s'appelait Nell Porter, la comédienne Portia de Rossi.

Elle a disparu des écrans après l'arrêt de la série, enfin je n'ai pas suivi les autres séries dans lesquelles elle a joué ou joue à présent. Mais lorsqu'elle a sorti son livre Unbearable Lightness, a story of loss and gain (l'insoutenable légereté, une histoire de perte et de prise), je l'ai vue venir le présenter. Elle a donné une longue interview à Oprah Winfrey, sur son combat contre l'anorexie. J'ai aimé la personne que j'ai vue, quelqu'un de simple et d'honnête, qui a accepté de tout dire, absolument tout dans ce livre. J'ai donc commandé le livre, qui n'a pas été encore traduit en français à ce jour. Et j'ai plongé avec elle dans un enfer de plusieurs années.

Portia de Rossi est un nom de scène, un nom qu'elle a inventé elle-même dès l'âge de 16 ans. Australienne, la jeune Amanda Rogers a grandi dans une petite ville, proche de Melbourne. La disparition brutale de son père alors qu'elle a huit ans, va provoquer chez elle un vide immense. Amanda ne s'aime pas, elle cherche par tout moyen à être différente des autres, elle déteste être dans la norme, elle cherche toujours la perfection (danse classique, athlétisme à haut niveau). Aussi, dès l'âge de douze ans, pour plaire à sa mère, elle devient mannequin. Elle n'a pas particulièrement un physique à part, aussi va-t-elle dès son plus jeune âge commencer à faire des régimes. Et ça fonctionne, sa mère qui l'accompagne, la récompense avec un tour au fast-food après chaque défilé. La boulimie arrive sans qu'elle sans rende vraiment compte. Elle arrive, en ne mangeant que très peu cinq jours avant chaque défilé, à perdre le poids nécessaire. Elle hait son nom, car sa meilleure adversaire en athlétisme, se nomme comme elle Amanda Rogers. Elle devient Portia (hommage à Shakespeare) de Rossi (nom vu dans un générique de film) en un soir.


Elle s'inscrit à la fac de droit, mais au bout d'un an, décide de tenter sa chance à Hollywood. Elle s'envole vers la Californie, avec son frère. La jeune femme australienne travaille dure pour effacer tout trace d'accent. La chance lui sourit rapidement, car elle décroche le rôle de Nell Porter dans la série phare, Ally McBeal. L'actrice raconte alors son sentiment d'isolement, la froideur des studios, l'absence de convivialité, et la compétition silencieuse qui s'installe à l'arrivée d'une nouvelle actrice. De plus, elle a obtenu le rôle d'une femme à l'opposé de sa personnalité, Nell Porter est dominante, sûre d'elle, femme mangeuse d'hommes. Elle n'est pas l'amie d'Ally, mais sa concurrente. Et Portia doit cacher un secret : elle est lesbienne. Elle vit dans la peur que quelqu'un le découvre, un ami homme jouera son petit ami lors de soirées évènementielles. Elle déteste son physique, ses cuisses trop grosses, ses yeux trop rapprochés (depuis l'âge de 8 ans). Et lorsqu'en lisant le script un jour, elle a apprend qu'elle doit tourner une scène de strip-tease, elle panique. Elle va alors commencer un régime plus strict, mais qui va fonctionner. Mais la maladie est déjà là, ainsi lorsque sa meilleure amie l'appelle après avoir vu la scène à la télé, et lui dit que oui, elle était bien, comme "an average woman", "une femme normale". Portia est effondrée, elle hait le mot normal (ce qui pour elle se traduit en légèrement grosse, avec des formes), idem pour femme, une femme a des formes, elle veut rester une "girl", une fille, jeune, pubère.

Son immense chevelure blonde la rend célèbre, et l'Oréal la veut pour sa prochaine campagne. C'est là que tout va basculer. Portia a rendez-vous dans un célèbre hôtel, une styliste l'attend pour un essayage de tailleurs avant la rencontre avec les grosses huiles de l'Oréal.  Alors qu'elle a réussi à perdre un peu de poids pour rentrer dans les tenues d'avocate de son personnage Nell Porter (et la styliste a adopté ses habits en fonction de sa morphologie (58 kgs pour 1m71)), c'est cette fois-ci l'inverse. En une heure et demie d'essayage, Portia ne rentre dans aucun des tailleurs (une cinquantaine), les pontes d'Oréal s'impatientent et lorsqu'ils viennent voir, l'essayeuse leur crie à la figure que personne ne les avait prévenus qu'"elle est une taille 8" et pas une "taille 4". (La taille 4 correspond à du 36). Portia de Rossi est effondrée.

Elle décroche néanmoins le contrat, mais décide de perdre du poids. Au même moment, les autres actrices de la série font de même, Calista Flockhart, Courtney Thorne-Smith (qui donne l'idée à Portia d'engager un nutritionniste). La pression est énorme, Portia commence à faire du sport dès 5h du matin, puis lors de sa pause déjeuner, elle investit dans une machine. Elle ment à tout le monde, au lieu de réduire ses repas à 1300 calories par jour (contre 1800), elle descend immédiatement à 1000, puis très vite à 800. Portia a toujours eu honte de ses cuisses, et ses mollets (hérités du ballet), le cercle infernal a commencé. Portia continue de vivre cachée, homosexuelle, elle risque de perdre sa carrière à chaque instant. Elle vit alors seule, toujours dans la peur. Son obsession finit par l'isoler encore plus des autres. Sa vie sociale se résume à ces journées de tournage. Le sport prend des proportions énormes, et chaque ingrédient avalé devient une source de stress supplémentaire. Elle se réveille chaque jour, la peur au ventre, qu'a-t-elle manger la veille ? Elle compte chaque calorie, et craque parfois, elle se fait alors vomir. Et lorsqu'un jour, elle avale plusieurs chewing-gum au lieu d'un, la voilà à courir, en jean et talons hauts, comme une folle sur un parking de centre commercial, pour tenter de perdre les 60 calories avalées.

Elle ne vit qu'en pensant à la nourriture, ou plutôt comment ne plus manger, et ne supporte plus de rester assise. Elle de continue de vomir, contrainte par un évènement (diner de famille, interviews) où elle est obligée de manger "normalement". Elle ment à tout le monde, à sa nutritionniste elle lui montre un cahier de repas imaginaires, tandis qu'elle tient un journal où chaque calorie est à sa place. La voix dans sa tête ne cesse de l'insulter : "salle grosse lesbienne". Son livre est extrêmement fort, j'ai découvert à quel point cette maladie est mentale. Elle raconte ainsi son premier sentiment, celui de supériorité et de puissance : elle est fière d'avoir le contrôle sur son corps et de pouvoir dorénavant faire la une de magazines, en tenues sexy. Elle rentre facilement dans du 4. Elle regarde les autres femmes avec ce sentiment d'être plus plus forte qu'elles. Elle ignore qu'en fait c'est l'inverse. Si elle se fixe au départ un poids de rêve (110 livres, soit 49 kilos), il est bientôt vite oublié.

Portia va alors descendre à 300 calories par jour, ses repas se limitent à du blanc d’œuf, et du thon, un peu de margarine à 0% de matière grasse et 3 heures de sport par jour (sic). Elle fond à vue d’œil. Elle passe la barre des 100, descend à 98 livres (soit 44 kilos), et voit toujours de la graisse sur son ventre, ses cuisses. En rentrant à Noël en Australie, elle se met alors à courir car elle a vécu comme un enfer les 14 heures de vol. Elle court, talons compensés, dans les rues de sa ville natale, ne se souciant plus du regard interloqué des gens. Sa mère, avertie par son frère, ne peut s'empêcher de s'effondrer. Portia croyait que sa mère allait la féliciter pour avoir réussi sa carrière, et avoir enfin la taille d'un vrai mannequin. Mais sa mère lui dit qu'elle est laide, trop maigre. Et puis, elle décide d'avouer à son frère son homosexualité. Il réagira fantastiquement, d'abord en l'engueulant, pourquoi ne s'est-elle pas confiée avant ? Il l'aime et s'inquiète. Il est le premier à lui dire qu'elle va sans doute en mourir. Première prise de conscience.

Une partie de son sauvetage viendra de sa mère, qui a toujours dit à sa fille de cacher son homosexualité, lui renvoyant une image négative. Celle-ci effrayée par la maigreur de sa fille, lui dira enfin les mots qu'elle attendait : elle l'aime telle qu'elle est, elle accepte son homosexualité. Portia repart en Californie en ayant repris un peu de poids, et de goût à la vie.

Mais Hollywood est impitoyable, une autre couverture de magazine l'attend, et l'anorexie ne disparaît pas subitement, sa voix est toujours là. C'est son corps qui va finir par parler, Portia obtient alors un rôle dans un film mais celui-ci requiert plusieurs scènes physiques. Mais à 83 livres (37 kilos), elle ne peut plus courir, toutes les jointures de son corps lui font horriblement mal. La nuit, elle ne trouve aucune position agréable, se reposant sur ses os. La fatigue est là. Elle doit porter des patches sous ses vêtements pour cacher sa maigreur, cacher ses bras veineux. Elle commence à faire des crises de panique. Elle finira par s'effondrer lors d'un tournage, incapable de marcher. Les médecins lui feront une batterie de test : à 26 ans, elle est atteinte d’ostéoporose, d'une cirrhose au foie (elle buvait du vin puis le recrachait), et on lui diagnostique un lupus. La prise de conscience d'une morte prochaine la ramène à la vie. Elle, trop fatiguée, voit toujours son ventre mou (trop éreintée pour continuer à faire des abdos), elle doit s'avouer vaincue. Elle finit enfin par dire "fuck" à sa petite voix.

En six mois, elle va passer de 37 kilos au double, 72 kilos ! Elle avoue qu'elle se déteste toujours, mais elle va mieux, elle n'est plus fatiguée, stressée et puis elle croise un soir la route d'Ellen de Generes, un coup de foudre. Elle ne comprend pas pourquoi Ellen lui parle, elle qui se trouve si moche, si laide, imaginez 72 kilos ! Petit à petit elle va guérir. Elle retrouve alors le plaisir sain de manger, et lorsqu'un paparazzi la surprend avec a petite amie de l'époque (une relation de 3 ans), elle devance les médias et révèle son homosexualité à toute sa famille. Puis, elle revoit Ellen, elle est revenue à son poids du départ, 130 livres. Ellen a tout ignoré de sa maladie. Elle avoue au monde entier son homosexualité et revit.
 
Elle explique avoir trouvé la paix, d'abord en apprenant à manger avec plaisir, fini les crises de boulimie, fini le sport (elle fait de l'équitation, son cheval ayant été son meilleur allié lorsqu'elle est revenue en Californie. Apprendre à monter à cheval lui a permis de ne plus penser à elle.  Elle fait aussi de la marche, et ce toujours "par plaisir"). Elle refuse de mettre les pieds dans une salle de sport, elle a pris conscience du goût des aliments, de ce qu'elle aime et n'aime pas. Elle a réalisé que demain il y aura toujours à manger. Elle mange à satiété.

Elle se rappelle parfois, avec presque de la nostalgie, ce sentiment de puissance qui l'avait habité au départ, lorsque les autres femmes l'enviaient. C'est un combat quotidien. Le livre est passionnant de bout en bout, et aussi effrayant. Elle s'adresse à toutes ces femmes, décrit la pression qui existe à Hollywood, les non dits, la concurrence entre les actrices.

Personnellement, je n'ai jamais eu de problèmes de poids, étant mince sans faire de sport (merci aux gênes maternels) mais j'ai croisé plusieurs filles anorexiques, l'une lors de mes années de lycée, et récemment à mon travail. La voir l'été, les bras squelettiques, j'ai toujours eu mal pour elle. J'ignore quoi lui dire, je suis le pire exemple. Je grignote tout le temps. Elle est si jeune, et aujourd'hui elle affronte un cancer. J'espère de tout cœur qu'elle s'en sortira, qu'elle vaincra le cancer et l'anorexie. Portia a eu de la chance, elle n'a plus aucune séquelle des ces années. Mais elle reste sur ses gardes. A jamais.



7 commentaires:

  1. Plus besoin d'acheter le livre après cette analyse!
    Les bruits courraient que Calista Flockhart était anorexique, on se rend compte du changement flagrant en regardant les 1ers épisodes, et que les autres actrices devaient suivre pour ne pas qu'il y ait trop de différences entre elles à l'écran. C'est la norme à Hollywood, il n'y a qu'à regarder la taille des bras (exp Demi Moore, bon elle est en plein divorce... Ashton l'a trompé malgré ses efforts... Si ça donne envie de s'y mettre après cela!) Les couturiers imposent la taille 0 voire 00 rien à voir avec la femme normale, qu'est-ce que ça peut m'énerver.
    J'apprécie trop les bonnes choses pour être anorexique mais contrairement à toi je dois faire attention (grrrr)
    Portia de Rossi a joué dans la série Arrested Development qui passait assez tard. Du peu que j'ai vu c'était assez marrant.

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  2. Oui, je m'en suis rendue compte après mais en fait le livre est beaucoup plus détaillé, on rentre vraiment dans sa tête et je te jure que ça prenait tout droit des allures de maladie mentale ;)

    Oui, je me souviens qu'au départ, toutes les actrices d'Ally étaient bien, puis elles ont toutes fondu à vue d’œil ! Portia ne dit rien sur elles, mais chacune mangeait dans sa loge...

    Le livre serait bien à lire à l'adolescence, pour éviter à certaines filles de vouloir devenir mannequins (tu as vu les décès ?).

    Exact, elle joue dans cette série Arrested Development qui apparemment marche bien Outre-Atlantique. Calista a joué dans Brothers and Sisters que j'ai suivi, elle avait repris un poids normal, mais on voit que c'est une fille d'un naturel plutôt mince au départ. Elles étaient devenues si maigres à une époque ! J'ai tous les épisodes d'Ally MacBeal, c'est comme tu le dis très frappant !

    J'espère que le livre sortira en français.

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  3. Je me demande si le livre sortira en France car l'actrice n'est pas très connue ici exceptées pour les serie addicts que nous sommes! C'est Harrison qui a refait grossir Calista ;-)
    Tant que les couturiers imposeront leurs normes on ne s'en sortira pas, les magazines de mode ont tenté de mettre qq photos de femmes "normales" mais cela n'a malheureusement pas duré.

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  4. Oui, je souris en lisant ton message, Harrison lui a fait gouter les bons steaks !!!

    J'ai lu récemment une itw où l'un des stylistes les plus connus disait encore que les vêtements tombent mieux sur les filles maigres ;(

    Oui, je suis abonnée à Elle et ils ont fait un numéro sur les femmes normales mais depuis on a de nouveau des filles de 14 ans d'1m80 ...

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  5. J'aimais bien le personnage et j'adore le couple qu'elle forme avec Ellen De Generes. Je ne connaissais pas si bien cette partie de son histoire ! Dure....

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  6. Moi aussi,j'adore leur couple. Elle est lumineuse depuis sa rencontre avec Ellen.

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  7. Merci, oui je me souviens que je regardais la série et je n'imaginais pas ce qu'elle traversait à cette époque. Je suis tout à fait d'accord avec toi, et quand on voit les candidats républicains tenir ouvertement des discours homophobes, rien n'est encore réglé !

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