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11 décembre 2012

Ma journée éléphantesque

Il est six heures et demi, l'heure de se lever ! Bienvenue en jungle thaïlandaise auprès de nos amis les éléphants. Ils sont sept (depuis mon départ, une huitième rescue est arrivée), et si tout va bien, ils ont deux humains pour s'occuper d'eux chaque jour. Il y a la matriarche, adorable Miss J. - parfaite avec les touristes, qui raffole des bananes et partage son enclos avec B., plus jeune, la plus petite éléphante que j'ai vue, très maligne.

Plus loin, une star du cinéma thaï S. qui depuis sa notoriété synonyme de maltraitance a développé un caractère bipolaire : un jour très sympa, le lendemain elle vous chargera sans ménagement ! Le temps de mon séjour, nous avions interdiction d'entrer dans son enclos. Pour le nettoyer, il a fallu ruser ;)



Puis sur un plateau : quatre enclos, un dévoué à Miss D., la plus gentille mais aussi la plus fainéante du groupe, on pouvait traverser son enclos chargé de nourriture sans qu'elle ne bouge le moindre cil. Puis la mère S.B et son fils adoptif K.K, la maman est très gentille mais son fiston, âgé de sept ans est en pleine croissance (il fait déjà la taille de la mère) et il est impossible de pénétrer leurs deux enclos. Le mâle devient extrêmement dangereux (il faut dire qu'à l'âge adulte, il est en rut la moitié de l'année), seuls les thaï s'occupaient de les changer d'enclos pour nous laisser évidemment les nettoyer (deux enclos, deux fois plus de boulot) et les nourrir (derrière la barrière). Mais K.K nous a toutes fait craquer, voir un éléphanteau bien rondouillard, en excellente santé et très joueur, c'est un super moment ;)
Ici une photo de leurs derrières, j'adore ça !

Enfin, ma préférée, P.L, avec son sale caractère - qui a la manie de vous bousculer et qui déteste tous les autres animaux (éléphants compris). Mais qui raffole des bananes vertes !


Point de petit déjeuner à l'horizon donc ! Il y d'autres ventres à nourrir, bien plus gros ceux-là. Votre café ? Votre estomac attendra bien 9h00. Et bonne nouvelle : un jour sur deux, nous partons en forêt couper une centaine de bananiers. En route donc pour leurs enclos, n'oublions pas de prendre un panier d'une dizaine de kilos de fruits (bananes, ananas) pour nos chères têtes grises :)

Le soleil est bien levé, et si vous avez, comme moi, la chance de vous occuper des pachydermes du plateau, pas la moindre ombre aux alentours (excepté dans les enclos) et à 8h du matin, il fait déjà 30°C...  Le rythme est presque immuable (excepté pour P.L, une diva) : on entre dans l'enclos pour aller ramasser les déchets de bananiers (soit deux ou trois tournées de brouette), et enfin aller à la pêche aux cacas. Et combien de tonnes de caca croyez-vous qu'un éléphant produise chaque jour ? Au minimum, deux belles brouettes pleines. Mais voyons le bon côté des choses : son régime à base de fibres produit de jolies bouses très sèches et peu odorantes. Évidemment, les gants sont obligatoires car il y en a toujours une dizaine bien fraiches.


Le sport commence à ce moment-là : il faut couper les bananiers à la machette, en ayant auparavant enlevé les branches feuillues, très appréciées par nos amis. Cette tâche est ingrate (surtout par 40°c) mais très drôle à regarder ! Quand les thaï ont vu arriver toutes ces grandes filles occidentales fluettes se saisir des machettes pour tenter de couper un arbre ... Ils se sont assis comme devant un spectacle télévisé. Et croyez-moi, ils ont bien ri.  Car une machette peut avoir le même pouvoir qu'Excalibur, une fois plantée dans le tronc, il faudra un Prince pour l'en sortir ! Que de fous rires... mais il ne faut pas oublier que derrière, un gentil animal de plusieurs tonnes s'impatiente ... Ce dernier raffole des feuilles et pour le tronc c'est une autre histoire : Dumbo se transforme en véritable dentelière, c'est avec grande délicatesse (excepté le jeune mâle de sept ans) que notre ami va enlever successivement les couches pour atteindre le Graal : le cœur de bananier. Il va alors le croquer en ronronnant de plaisir.  L'éléphant est un gourmet. La tâche va l'occuper pendant un long moment.  Le temps pour ses serviteurs d'aller se rassasier.

La preuve : le sourire sur les lèvres de P.L alors qu'elle défait l'une après l'autre les couches pour atteindre le cœur de l'arbre.

Cette opération nettoyage/nourriture a lieu quatre fois par jour, auquel il convient d'ajouter chaque jour un enrichissement : où comment faire bouger ces gros bougres fainéants ? Car si ma P.L n'a aucun souci pour arriver sur vous en vous chargeant allègrement, vous l'aurez deviné, Miss D. ne bougeait jamais ses fesses. L'idée est donc de semer sur son chemin comme le petit Poucet en son temps, bananes et ananas, ou les suspendre en hauteur, dans un filet rempli de foin.

Anecdotes ....
Le lendemain, nous avons noté que Miss D. n'avait même pas daigné bouger son derrière..alors que nous avions comme le petit Poucet semé des dizaines de fruits. Finalement, il faudra l'accompagner et l'encourager pour qu'elle se mette en route.

Ma P.L, elle, n'a eu besoin que de 70 secondes pour trouver le premier fruit puis remonter la piste en dévorant bananes et ananas, en accélérant pour finir en courant à la vue du filet accroché en hauteur (et au passage presque tuer un des bénévoles français).  En attrapant le filet, elle a plie violemment les deux arbres, mais le filet lui résiste - la deuxième tentative sera la bonne ! Le filet au sol, elle l'écrase furieusement avec l'une de ses pattes, et avale la dizaine de fruits, la pupille de l’œil complètement dilaté.  Et nous, les bénévoles nous sommes là abasourdis par sa rapidité, sa force et son acuité.


J'avoue, j'ai eu le coup de foudre pour P.L, pas parce qu'elle déteste tous les autres animaux, même ceux de son espèce, mais parce qu'elle a le flair de mon teckel, ainsi le premier jour, elle a surgi (oui surgi, en détruisant une dizaine de bosquets au passage) et nous a chargées, Lucille et moi - car il faut l'avouer, nous avions eu l'idée du siècle : traverser son enclos avec dans les mains un immense panier rempli de fruits.

Lucille et moi avons cru ...pouvoir être plus rapides, et j'ai même cru ensuite qu'elle se contenterait du régime de bananes, et lorsqu'elle a surgi entre nous deux, j'ai refusé de céder, nous sommes restées accrochées aux anses du panier comme à la bouée d'un navire en perdition... perdant au passage tongs et gants, en criant à plusieurs reprises "stop ! Lâche le panier" - si, si - à un éléphant ;)  Et quand bien même, elle a écrasé le panier au sol, ma tête dans son oreille, j'ai trouvé le moyen de récupérer un ananas et mes gants... et d'y croire encore ...  Parce qu'étrangement, à aucun moment, je n'ai compris qu'il s'agissait là d'un éléphant de quatre tonnes, et que j'aurais pu finir à la place du panier ;) 

J'ai craqué pour elle car elle ne comprend pas notre logique d'humains - pour elle, nous sommes que de simples serviteurs, nous commençons par ranger sa suite alors qu'elle a faim ! Elle a donc logiquement décidé de rester sur les déchets que je suis supposée ramasser, me voilà donc à ses pieds, obligée bientôt d'aller chercher les déchets sous son ventre, et que ce faisant, je sens son regard - un éléphant vous suit toujours du regard. Ces moments sont restés gravés dans ma mémoire, je suis là - moi, petite française, à quelques centimètres d'un éléphant. J'entends sa respiration. Alors, avec elle, j'ai décidé de changer l'ordre des choses : j'ai commencé par la nourrir, loin des déchets, afin de pouvoir nettoyer son enclos tranquillement. Résultat : elle m'a adopté et a continué de s'en prendre aux autres. Pour information, me voyant en mauvaise posture, un dresseur thaï est venu m'aider et bien à croire qu'elle ne comprenait pas un seul mot, elle n'a pas bougé d'un centimètre !

Entre chaque soin, vous aurez le temps de petit-déjeuner, déjeuner et si tout va bien, faire de longues pauses. On adorait les passer avec eux, en marchant à leurs côtés, en les filmant, les photographiant, ou en cas de fortes chaleurs, en les arrosant ou en les accompagnant au lac pour une baignade.


Au final, je dirais qu'un éléphant, c'est simplement un animal sublime, j'ai eu envie de glisser mes doigts dans les sillons de sa peau, fourrer ma tête dans le creux de ses oreilles, lui faire ouvrir grand la bouche, le voir prendre le plus délicatement possible une petite banane dans le creux de sa trompe avant de les avaler. Parce que j'ai adoré leur apporter des bananes, et ensuite les voir, chaque matin fouiller mes poches ou mon tee-shirt avec leur trompe à la recherche du précieux trésor.

Parce que j'ai adoré joué avec Miss B. en l'arrosant par une journée chaude, et quand elle a saisi soudainement le tuyau avec sa trompe, c'est toutes les trois qui avons du tirer sur l'autre bout pour le récupérer à temps ou voir Miss J., la plus âgée, fuir l'eau comme la peste, le seul éléphant sur terre à craindre la moindre goutte ;)

Comme ce jour où en déposant les bananiers, Miss J. a passé sa trompe sous la barrière et a saisi l'un des bananiers, et qu'à cinq nous avons plongé au sol pour tirer de notre côté pour réussir à récupérer l'arbre devant des touristes anglais éberlués. Et que la matriarche vexée d'avoir perdu a barri si fort que tous les autres animaux du refuge se sont tus. Et tous les humains également ! Un barrissement de colère qui résonne encore à ce jour dans mes oreilles. Nous nous sommes empressés de lui donner quelques branches. Et la nuit, elle a barri de nouveau pour nous rappeler que c'est elle la chef.

Comme ce jour où j'ai soigné pendant une heure avec le vétérinaire les profonds abcès répartis sur tout le corps de Miss B. Des abcès d'une vingtaine de centimètres de profondeur causés par des années de transport de touristes. Ces abcès qu'il convient de nettoyer chaque jour sous peine d'infection et de mort certaine. 

Comme je sais dorénavant qu'un éléphant vous suivra comme un petit chien, tous les matins pour obtenir des morceaux de bananes. Jamais, il n'ira vous les voler dans la main. Vous voilà, à vous promener, un éléphant à vos pieds, le regard sur vos précieux fruits. C'est dingue ;)


Comme les jours où je les ai accompagnés hors de leurs enclos en route pour le lac et la promesse d'une baignade. Je n'oublierai pas leur fière allure, leurs pas décidés, et toujours leur regard bienveillant.

Parce que finalement, aller tous les deux jours en forêt couper et transporter ces arbres, fraichement abattus dans le camion, affronter les pluies tropicales, la boue, les piqures de dizaines de fourmis rouges c'est la contrepartie logique à tant de bonheur. Parce qu'une fois installée sur ces mêmes bananiers dans le camion, le vent vient sécher vos plaies, que le pays, le vrai : celui des terres, des fermiers, des enfants aux yeux rieurs, s'offre à vous.

Les éléphants sauvages se font rare à présent en Thaïlande, leur population ne cesse de décroitre. J'ai eu la chance d'aller en voir avec une dizaine de bénévoles, installés à l'arrière de deux jeep, nous avons croisé deux mâles qui se sont un peu amusés avec nous. Notre jeep s'est retrouvée "en sandwich". La semaine précédente, le plus jeune avait chargé l'une des jeep, renversant presque le véhicule. Il faut dire que le parc national est traversé par une autoroute, qui sépare la nourriture du plan d'eau. Les éléphants n'ont d'autre choix que d'emprunter la route. Résultat : ils prennent les motos pour des jouets et des gens perdent la vie chaque année. Une petite vidéo postée par un touriste vous montre bien le genre d'émotions qui vous guette. Il n'empêche que c'est l'occasion de voir des animaux libres et surtout bien ronds, pas maigrichons comme ceux du centre, maltraités pendant des décennies par les humains. La différence est frappante !

Miss J. et à droite un éléphant
sauvage vu 
pendant le 
safari ... et Miss J. était déjà là depuis un an, avant c'était encore pire....






Pour tout ça, oui je suis prête à me lever tous les mains à 6h00, avoir payé mon billet d'avion, réglé mon séjour. J'ai été remboursée au centuple !

Il m'arrive encore parfois de sentir P.L près de moi, comme maintenant en écrivant ces mots, entendre son souffle, sentir ses pas qui suivent les miens... en espérant, à chaque fois que je me retourne, croiser son regard de grande Dame .. parce qu'elle me manque ma Diva !



2 commentaires:

  1. C'est un travail de titan dis moi! Mais ces efforts valent carrément la peine, le voisinage de ces bestiaux magnifiques est en soit une récompense !

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    1. Oui et non ! comme tu le dis, on oublie vite tellement on est heureux d'être avec eux ! Par contre, c'est une fatigue très différente de la fatigue d'une journée de bureau ! Le soir, on se couche à 8h ! Le corps en prend un coup ! J'aurais pu raconter que les douches froides étaient les bienvenues ! Surtout après avoir été couper les arbres, on était dégueulasse (les bananiers sont remplis de jus) ... Mais quelle récompense !

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