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04 novembre 2015

Just kids



Chose dite, chose faite ! J'ai décidé de publier en double mes coups de  littéraires, ici et sur mon autre blog dédié aux livres.  Bonne lecture ! 

Parfois, il est bon d'en connaître peu sur un artiste pour découvrir sa vie. Patti Smith a promis, lors de sa dernière conversation avec Robert Mapplethorpe, alors qu'il se mourait, qu'un jour, elle écrirait sa vie. Patti a tenu parole. Il lui aura fallu onze ans pour tenir sa promesse. Patti a tout juste 19 ans lorsqu'elle débarque à New York à l'été 1967, sans un sou en poche. La jeune femme a quitté son ancienne vie, ouvrière dans une usine pour réaliser son rêve : devenir artiste. Patti s'exprime à travers le dessin et la poésie. Elle vénère Rimbaud et Bob Dylan. Mais les début sont difficiles, Patti se retrouve rapidement à la rue, l'estomac vide.

Patti and Robert

Le destin ne l'a pas oublié - ainsi Patti, après des semaines à dormir partout et nulle part, finit par décrocher une adresse mais l'ami en question n'est pas là. C'est un jeune homme, en tee-shirt blanc, aux cheveux bruns bouclés et aux yeux émeraudes qui lui sert de guide. Patti l'oublie et accepte quelque temps après d'aller diner avec un auteur de science-fiction horrible, c'est alors que son ange gardien réapparait, il la sauve en prétendant être son prince charmant. Il s'appelle Bob mais elle préfère Robert et comme elle, il est artiste .. et à la rue. Ils ne se quitteront plus pendant presque onze ans. Ce coup de foudre est double : amoureux et artistique. Elle est sa muse, il est son prince. Leurs âmes sont siamoises. Ils s'inspirent et partagent absolument tout.

Patti livre ici ces premières années dans une ville où tous les artistes en herbe semblent converger - New York les attend. Patti dessine mais surtout écrit, des poèmes - Robert dessine, peint, photographie, un touche à tout. Ce sont des années de vaches maigres qui les attendent. Pour survivre, ils passent d'un hôtel minable à un autre, ne comptant que sur la générosité de bienfaiteurs - fort heureusement New York en regorge. Ils habiteront longtemps au célèbre Chelsea Motel - où tous les artistes, compositeurs, musiciens, plasticiens, dessinateurs, écrivains et acteurs se croisent et se soutiennent. Robert rêve de reconnaissance et de gloire. Il vénère Warhol qu'il tentera d'approcher toute sa vie. Il touche à toutes les drogues, pas à l'alcool. Patti apprécie le vin mais ne touche pas aux drogues. Ils partagent de minuscules logements où leurs créations s'entassent partout, sur les murs, le sol, le plafond. Robert se passionne pour la photographie mais ils comptent chaque dollar. Robert va alors faire le gigolo, pratique assez répandue à l'époque. Il découvre alors sa latente homosexualité. Même s'ils sont toujours ensemble, Patti le voit peu à peu s'éloigner. Elle-même continue de se découvrir - elle participe intensément à des sessions de poésie, fréquente Allen Ginsberg, Burrough et rêve de Rimbaud - mais les fréquentations de Robert la ramènent sans cesse vers la musique. Patti croise alors Janis Joplin, elle lui écrit un poème et lui lit. A la même époque, elle croise Jimi Hendrix - timide, elle n'ose entrer au fameux studio 54, c'est Jimi qui vient lui tenir compagnie. Trop jeune pour comprendre que ces personnes sont des "géants" elle ne cherche pas à faire leur connaissance et le destin ne lui en laisse pas le temps. Tous seront fauchés l'année qui suit. Elle regrette ainsi d'avoir ignoré les Doors et Jim Morrison, un poète comme elle.

Un livre que je n'ai pas lâché d'une seconde - Patti Smith est une poétesse et une superbe conteuse. Le lecteur est projeté dans la mégalopole new-yorkaise et lorsque Patti raconte son époque, on aimerait pouvoir voyager dans le temps et assister à ses soirées dans les bars devenus mythiques, écouter Patti déclamer de la poésie, passer d'une chambre d'hôtel à l'autre au Chelsea. Une ville immense mais un village lorsqu'il s'agit d'artistes. Patti a toujours été punk, jamais attirée par le glamour - c'est Robert qui vénère Andy Warhol (et ne le rencontrera jamais) qui lui fait rencontrer toutes ces célébrités - Patti ne s'y sent jamais à sa place. La liste est impressionnante. Mais Patti s'en fout. Robert lui a toujours dit qu'elle serait chanteuse et deviendrait célèbre. Il sera là pour y assister lorsqu'elle sort Because the night (une de mes chansons préférées, car coécrite avec Bruce Springsteen et je suis fan du Boss).
One late afternoon, we were walking down Eight Street when we heard "Because the night" blasting from one storefront after another. (...) Robert was our first listener after we had recorded the song. I had a reason for that. It was what he always wanted for me. (...) Robert was smiling and walking in rhythm with the song. He took out a cigarette and lit it. We had been through a lot since he first rescued me from the science-fiction writer and shared an egg cream on a stoop near Tompkins Square. Robert was unabashedly proud of my success. What he wanted for himself, he wanted for us both. He exhaled a perfect stream of smoke, and spoke in a tone he only used with me - a bemused scolding - admiration without envy, our brother-sister language.
"Patti", he drawled, "you got famous before me".
Patti ne cesse de répéter qu'elle écrit ici la vie d'un artiste extraordinaire : Robert Mapplethorpe - elle semble parfois s'effacer de l'équation. Leur liaison amoureuse cesse mais leur aventure artistique se poursuit. C'est lui qui la photographie pour la plupart de ses albums. Ils vivent ensemble mais ont des amants. Patti rencontre un beau gosse, batteur dans un groupe underground, il se fait appeler Slim Shadow. Tous deux parlent textes. Patti aime profondément les mots - elle cite tous les poètes, français, russes - une passionnée. Elle s'installe avec lui, un matelas et une machine à écrire comme seul ameublement. Puis un soir, alors qu'elle dine avec lui, une amie la surprend et lui annonce que ce Slim n'est autre que le dramaturge Sam Shepard, déjà couronné de succès pour ses pièces de théâtre. Patti ne semble pas réaliser que c'est elle la véritable étoile qui attire les gens et même si Robert dégage un magnétisme qui attire les hommes et les femmes, c'est plus souvent pour son physique que son talent. Elle deviendra célèbre avant lui.

patti smith creemPatti livre ici une sublime histoire d'amour mais elle montre aussi pour moi une autre facette de l'artiste : celle d'une femme qui touchera peu aux drogues, alors qu'à l'époque, son amant et ses amis y plongent totalement, qui continuera de travailler longtemps (en librairie, toujours l'amour des mots) pour payer le loyer. Une femme qui aime l'art et les mots par-dessus tout mais qui garde profondément les pieds sur terre.  Elle le dit sans le dire : Patti a grandi dans une famille aimante, elle voyage d'ailleurs à deux reprises en France avec une de ses sœurs cadette. Elle y retourne pour aller à Charleville, musée et tombeau de Rimbaud. Une passionnée. Sa famille la soutient et approuve son choix de vie. Robert vit l'inverse, des parents catholiques strictes, peu démonstratifs. Robert cherche sans cesse l'amour et la reconnaissance dans son art. Patti est une artiste pleinement accomplie mais qui vit sa vie d'artiste différemment. Oui, Patti Smith est "la première femme punk" (je le confirme, ses concerts continuent de m'épater, la soixantaine bien tassée) mais à part ses années de vaches maigres, Patti est restée terriblement sage. Elle raconte ses rares "trips" (qui ne le font pas vraiment décoller) et préfère aller vivre à Détroit avec Fred Sonic Smith, l'épouser et lui faire deux enfants.

Mais Patti reste toujours la muse de Robert, même éloignés, ils sont inséparables alors quand ce foutu SIDA apparait, Patti rentre à New York.
There are many stories I could yet write about Robert, about us. But this is the story I have told. It is the one he wished me to tell and I have kept my promise. We were as Hansel and Gretel and we ventured out into the black forest of the world. There were temptations and witches and demons we never dreamed of and there was splendor we only partially imagined. No one could speak for these two young people nor tell with any truth of their days and nights together.
Une histoire d'amour, d'amitié - une histoire de l'art, ou Ginsberg et Burrough sont des amis, ou Jimi drague et Janis pleure un petit ami parti avec une plus jolie fille, un histoire où deux gosses, Just kids, s'aiment d'amour et d'art. Superbe. Intense. Magnifique. J'ai refermé ce livre envoutée.

♥♥♥♥♥

Just kids, Patti Smith, éditions Bloomsbury, 320 pages 

4 commentaires:

  1. Ce livre est dans ma liste de livres à lire, depuis un moment, mais tu me donne vraiment envie d'aller me le procurer plus rapidement que prévu !! Il a l'air génial !

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    1. Oui vas-y tranquille ! Il est en poche à présent. Il est vraiment super, elle a une écriture très fluide et très agréable. On suit toute sa vie, c'est passionnant !

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  2. Quelle superbe chronique ! Tu m'as vraiment convaincu de lire ce livre. Comme pour toutes les bio/autobio, j'ai toujours peur que ce soit long ou lourd et je n'arrive pas à me lancer, mais là, je crois que je vais m'y précipiter

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    1. Merci ! Tu ne vas pas le regretter. Le style est fluide et c'est passionnant, je l'ai lu très vite - Patti Smith est une vraie conteuse.

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