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14 octobre 2016

Festival alter'natif à Nantes



Comme je vous l'avais annoncé, j'ai assisté hier soir à la projection de deux courts-métrages et à un moyen métrage, un documentaire, tous réalisés par des réalisateurs ou réalisatrices indien(ne)s, en l'occurrence des autochtones canadiens et américains dans le cadre du Festival Alter'Natif qui a lieu à Nantes cette semaine. La programmation continue chaque soir au cinéma Concorde avec la cérémonie de la remise des prix samedi prochain à l'Orangerie.

Après la diffusion des films, le public a pu longuement échangé avec eux, dont votre serviteur ici présent. Une très belle soirée. Laissez-moi vous présenter les films en compétition ! 


APIKIWIYAK



Ce court-métrage en noir et blanc m'a beaucoup touché. Écrit par Maria Campbell, originaire du Saskatchewan et réalisé par Shane Belcourt, il s'attache à montrer la violence faite aux femmes autochtones, que ce soit au sein de leur famille mais également dans le monde extérieur. Ici on voit comment cela brise les familles (une mère et une fille), où comment sont à leur tour victimes de violences domestiques des femmes qui avaient déjà grandi avec un père abusif. Les problèmes d'alcool et d'addiction sont une des raisons invoquées. Si la population autochtone canadienne représente 6% de la population, 40% des femmes victimes de violence (assassinées) sont autochtones. 
Ce qui m'a beaucoup plu dans ce court-métrage, c'est le choix de la prière indienne - un chant qui invoque le Grand Mystère et appelle à l'aide les anciens afin qu'ils puissent retrouver "le chemin de la maison" (Coming home). Les paroles sont magnifiques. Les acteurs aussi.
Je l'ai trouvé sur le Web. Durée 12:48 minutes. Par ici

Mon avis :

HOW TO STEAL A CANOE



Il s'agit ici d'un film d'animation (cf. autre photo en tête d'article) assez court mais très fort. Il montre ici trois canoës suspendus en l'air, exposés dans un musée gardé par un gardien. Une jeune femme Nishnaabeg et un vieil homme Nishnaabeg décident d'agir du fait que le canoë en écorce de bouleau n'a pas sa place ici mais sur le lac au contact de l'eau. Ce bois si tendre qui peut se rouler (pour ceux qui l'ignorent, l'écorce du bouleau, au contact de l'eau peut être facilement transformable et se rouler comme un parchemin). Dans les tribus indiennes du Québec l'écorce de bouleau servait à fabriquer les wigwam (les tipis sont à l'inverse recouverts de peau de bisons).  Ainsi, au changement de saison, on pouvait rouler les écorces en forme de parchemin et les transporter facilement sur le nouvel emplacement saisonnier. 
Le vieil homme réussit à détourner l'attention du gardien et la jeune femme portant le canoë sur sa tête s'enfuit vers le lac. Elle leste la pirogue de 7 pierres afin que celle-ci s'enfonce légèrement dans l'eau, car l'écorce de bouleau doit être à son contact. 

La jeune réalisatrice, Amanda Strong, basée à Vancouver est très timide. Elle a expliqué que les choix des marionnettes était en partie du aux manque de moyens mais qu'au final le résultat est très satisfaisant. Elle souhaitait ici montrer que les objets exposés dans les musées n'ont pas leur place sous ces cloches de verre et qu'ils sont précieux et doivent leur revenir. Dans ce court-métrage, on entend les mots de la poétesse Nishnaabeg Leanne Betasamosake Simpson (originaire de l'Ontario) et la bande-originale est interprétée par le violoncelliste Cree Cris Deksen.

Je vous invite à faire un tour sur son site pour mieux comprendre son travail.

Mon avis :

THE OKA LEGACY 


J'avais hâte de découvrir le documentaire réalisé par Sonia Bonspille-Boileau sur la crise qui a frappé la communauté d'Oka qui eut lieu en 1990 et fut un élément crucial pour le réveil des nations indiennes et leur combat pour leur reconnaissance et leur dignité. 
La réalisatrice, présente, avait 11 ans quand la crise eut lieu - le documentaire commence en montrant une fillette de son âge qui fait du vélo. Elle vit sur cette portion de terre qui relie la réserve Kanehsatake à la petite ville d'Oka au Québec. Sa mère est une Bonspille, une indienne Mohawk originaire de la réserve et son père, M.Boileau est Québécois. A cette époque-là, la petite fille ignore tout de ses origines indiennes et de la culture de sa mère. Elle ne voit aucune différence entre elle et les autres filles à l'école. 

C'est alors que la mairie décide d'agrandir le terrain de golf local en décidant de raser une partie de la terre appartenant à la réserve Kanehsatake. Sur cette terre on y trouve des bois où les indiens aiment chasser et surtout un cimetière Mohawk. Cette surface n'a jamais fait partie d'aucun traité où les indiens avaient cédé leur terre et pourtant le Maire et les promoteurs locaux n'en démordent pas. Ce projet va réveiller cette population asservie depuis des années, qui après des siècles de "colonisation forcée" et l'envoi de plusieurs générations d'enfants indiens dans des pensionnats religieux où on leur interdisait de parler leur langue et de pratiquer leur culture - la crise d'Oka va avoir comme un effet électrisant. 

Les indiens s'organisent - d'abord par des manifestations pacifiques, des sit-in. Les autres tribus proches de Montréal, Iroquoises ou Algonquines se joignent bientôt au mouvement. Le premier acte fort fut la prise de l'un des ponts qu'empruntent chaque jour des milliers de conducteurs pour se rendre à Montréal (rappel : la ville est une île). La sûreté du Québec est appelée sur les lieux. Bientôt les médias arrivent de partout et c'est tout le Canada, même anglophone qui se retrouve à regarder à la télévision la montée en puissance de la crise, née dans une toute petite réserve Mohawk.

Afin d'empêcher le projet de se réaliser, les indiens d'Oka se sont installés dans les bois et près du cimetière et ils manifestent chaque jour sur la route principale. Le Maire décide de faire appel à la sureté du Québec et, fait hallucinant - celle-ci débarque et balance des gaz lacrymogènes sur des personnes âgées et des enfants ... La manifestation dégénère et les "guerriers" s'organisent.  Certains sont opposés à l'usage de la force, d'autres y sont favorables. J'ai appris que le système est matriarcal, leur leader et porte-parole est une femme et ce sont elles qui décident de partir ou non au combat.


Les guerriers (warriors) de la tribu apparaissent dans des tenues militaires de camouflages, le visage caché par un foulard ou un bas, ou recouvert de suie noire. Ils sont armés. Malheureusement, lors des derniers affrontements, un policier de police, le caporal Lemay est tué. L'enquête va durer près de douze ans et fera l'objet de plusieurs expertises, payée par les deux parties. La dernière, gouvernementale, accusera les guerriers indiens d'être à l'origine du décès. La mort de ce policier va alors pousser le gouvernement a envoyé carrément l'armée aux portes d'Oka ! 


Le gouvernement encercle la réserve avec des tanks militaires. Ces soldats sont plus nombreux que ceux déployés au Koweït (nous sommes en 1990) et surtout eux qui sont censés protéger la population canadienne font ici tout l'inverse. La population est effrayée et ils ont peur de mourir à chaque instant. La réalisatrice, enfant à cette époque, a eu très peur d'eux. 

La crise d'Oka va durer 78 jours et faire la une de tous les médias, nationaux et étrangers. Elle va résonner très fort dans les autres tribus (comme le témoigne d'autres indiens dans le reportage). Ceux dont la voie s'était éteinte au début du siècle reprennent peu à peu vie et des manifestations ont lieu dans tout le pays. Les indiens se soulèvent enfin contre cet envahisseur. Comment peut-on justifier de détruire un lieu sacré pour quelques privilégiés qui jouent au golf ? Lorsque l'armée passe à l'attaque, les familles prennent peur et autre image terrible, alors qu'ils fuient en voiture, des canadiens (francophones en majorité) leurs lancent des dizaine de pierre, brisant les pare-brises et blessant de nombreux enfants et personnes âgées. Je me suis sentie très mal devant ces images surtout en voyant ces hommes et femmes blancs, racistes jeter ces pierres, insulter ces personnes et les policiers ne faisant strictement rien. 

Lors de l'assaut, les reporters étaient là et une jeune indienne âgée de 15 ans, Waneek, fut grièvement blessée par un militaire. Ils avaient en effet équipé les armes de baïonnettes (oui en 1990) et l'un des hommes a transpercé le corps de la jeune femme, on la voit elle et sa petite sœur hurler, crier, épouvantées - certaines qu'elles vont mourir.  Elle témoigne dans le documentaire et pleure encore aujourd'hui.

25 ans ont passé et les stigmates sont encore très présents -  si aujourd'hui, les habitants d'Oka, blancs et Mohawk sont réconciliés et manifestent ensemble pour protéger la Terre dans des considérations écologiques, le traumatisme est bien réel. La confiance en la police a disparu. 

Le côté positif fut le réveil de ces nations indiennes endormies depuis si longtemps et le regain de leur fierté. Le gouvernement canadien dut lancer une commission d'enquête. Depuis 2015 (oui l'an dernier seulement), les Indiens ont réapparu dans les livres d'histoire - des écoles enseignent les langues autochtones (il y a plus de 350 communautés autochtones et plus de 50 langues parlées au Canada). Le plus beau témoignage fut cela de la sœur du caporal. Au lieu de crier à la haine et à la vengeance, elle voulut comprendre qui étaient ces Indiens des Premières Nations dont elle ignorait absolument tout. Elle se procura un livre publié par les femmes de la tribu qui avaient décidé de s'unir et de raconter les siècles d'oppression En découvrant ce que le gouvernement canadien avait fait pendant tant d'années, elle comprit et elle décida d'aller à la rencontre de ces femmes. Un témoignage très fort. 

Mon avis : 

*  *  *

A la fin du reportage, les réalisateurs et réalisatrices sont montés sur scène et ont répondu à nos questions : La différence entre les réserves américaines et les réserves canadiennes, la disparition brutale de plus de
1 200 femmes canadiennes ces quinze dernières années (un reportage d'Envoyé Spécial que j'ai vu) et qui vont enfin faire l'objet d'une enquête sérieuse, l'avancée de lois, l'enseignement dans les écoles mais au final il y a surtout une nouveauté chez eux : la fierté retrouvée. Ils sont fiers d'êtres Mohawk, Algonquins, Innus. Leurs parents et grand-parents, arrachés à leurs familles avaient perdu toute cette connexion à leur culture, ils ne parlaient pas la langue, ne pratiquaient pas les cérémonies mais aujourd'hui leurs petits enfants parlent la langue et sont des ardents défendeurs de leur culture. Tout cela grâce à ce premier mouvement de résistance. 

Le racisme perdure, l'ignorance aussi - mais aujourd'hui les Indiens savent qu'ils sont plus forts à lutter ensemble et comme le documentaire le montre, un des mouvements canadiens les plus connus "Idle no more" s'allie aujourd'hui à des organisations environnementales afin de défendre la nature. Aujourd'hui Blancs et Indiens manifestent ensemble. 

Le combat n'est pas terminé. La misère, la pauvreté, les dépendances à la drogue ou à l'alcool continuent leurs ravages. Les divisions au sein des communautés persistent, comme l'explique très bien David Treuer dans son essai "Indian Roads". Comme l'a dit un jeune réalisateur américain, il faut que les Indiens changent mais il faut que la société et que les gouvernements reconnaissent enfin ce génocide et prennent leur part de responsabilité. Saviez-vous que les réserves autochtones canadiennes sont toujours régies par une loi appelée, Loi sur les Indiens, datant de 1876, qui définissaient qui était "Indien" : 

"qu’une personne « […] ser[a] considérée comme Sauvage… » si elle est « de sang sauvage » et qu’elle est membre d’une « tribu ou d’une peuplade de Sauvages ».

Cette loi subit de nombreux amendements, les premiers étaient évidemment paternalistes et colonialistes, les derniers à l'inverse (1985 et 1999) autorisent enfin les tribus indiennes à gérer eux-mêmes leurs territoires et à élire leurs conseillers. 

La "loi sur les Sauvages" disait « Notre législation indienne repose sur le principe que les autochtones doivent rester dans un statut de tutelle et être traités comme des pupilles ou enfants de l'État […] L'intérêt des autochtones comme celui de l'État requiert que tous les efforts soient faits pour aider l'homme rouge à sortir de sa condition de tutelle et de dépendance et il est clairement de notre savoir et de notre devoir de le préparer, par l'éducation et tout autre moyen, à un plus haut degré de civilisation en l'encourageant à assumer les privilèges et les responsabilités d'une citoyenneté entière » Ce texte traduisait l’assimilation forcée qui eut lieu avec l'obligation d'envoyer les enfants au pensionnat où on leur interdisait de parler leur langue ou pratiquer leur culture. 

Une rencontre vivante et très intéressante. Un festival qui tient toutes ses promesses ! Il continue toute la semaine, donc n'hésitez pas à vous procurer le programme afin de voir d'autres films et court-métrages en compétition et aller voir l'exposition à l'Orangerie.

NB : j'utilise le terme "indien" et non "amérindien" (Native American) car mes amis, ainsi que tous ceux que j'ai rencontrés et à qui j'ai posé la question, aux USA et au Canada et des auteurs célèbres récemment au Festival America (Ojibwe, Blackfeet, Cheyenne) réfutent ce terme politiquement correct. Le mieux est de les appeler par leurs vrais noms : Blackfeet, Paiute, etc. 



2 commentaires:

  1. Sympa ce festival! J(ai eu l'occasion de visiter - et de travailler - au Saskatchewan (à Regina plus particulièrement). Au milieu des prairies et de... rien, c'est le meilleur endroit pour se laisser aller à la contemplation.

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    1. oh quelle chance ! moi c'était le Montana, pareil les plaines à n'en pas finir ! quel souvenir !

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