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01 mars 2015

Americanah

Ecrire ce billet n'aura pas été chose facile. Il y a tant de choses à dire sur ce livre.  J'avais déjà lu ci et là les avis enthousiastes d'autres blogueuses puis Chimamanda Ngozi Adishie est venue sur le plateau de La grande Librairie et j'ai su que je devais acheter le livre. Samedi dernier, je suis donc repartie avec l'épais volume d'Americanah (528 pages, broché) sous le bras.

En premier lieu, je n'avais jamais lu de roman de cet auteur, ni même de roman nigérian ou traitant de ce sujet. Ce fut donc une totale découverte. De plus, lisant qu'il s'agissait d'une belle histoire d'amour, qui n'est pas mon sujet de prédilection dans les romans, j'avais encore plus de doute. Aussi, les premies chapitres m'ont-ils paru laborieux. J'ai même eu quelques incertitudes sur ma capacité à le finir. Puis la magie a opéré .. je ne l'ai plus lâché, et être en vacances m'a permis de lire des heures et des heures à la suite. 

L'histoire ? Voici le résumé copié collé : "En descendant de l'avion à Lagos, j'ai eu l'impression d'avoir cessé d'être noire." Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Jeune et inexpérimentée, elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l'Amérique, qui compte bien la rejoindre. Mais comment rester soi lorsqu'on change de continent, lorsque soudainement la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés ? Pendant quinze ans, Ifemelu tentera de trouver sa place aux Etats-Unis, un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. De défaites en réussites, elle trace son chemin, pour finir par revenir sur ses pas, jusque chez elle, au Nigeria."

Ce roman se lit à plusieurs voix :
- Celle d'Ifemelu, jeune femme nigériane qui tombe amoureuse d'Obinze au lycée. Le lecteur la suit lors de son départ en Amérique pour étudier et sa difficile adaptation, puis revient avec elle au Nigeria lorsqu'elle prend la décision de retourner au pays.
- Celle d'Obinze que l'on suit dans ses pérégrinations en Angleterre. Contrairement à Ifemelu, il est l'immigrant sans papiers. Il doit se cacher, mentir, subir.

Le roman est une histoire d'amour entre deux jeunes gens, tous deux avides de réussite mais également un regard sans faille, sans oeillères sur la situation de la jeunesse dorée nigériane qui part étudier en Amérique ou en Angleterre et dont le retour au pays est difficile. C'est aussi le regard d'une jeune femme, qui une fois le pied posé en Amérique, va soudainement prendre conscience qu'elle est Noire (on ne se voit pas blanc tant qu'on n'a pas posé les pieds dans un pays où nous sommes une minorité). La romancière va faire de ce roman un essai sur sa condition de femme Noire africaine dans un pays occidental évolué. 

"Cher Noir non Américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L'Amérique s'en fiche". (page 249)

Ifemelu découvre ainsi qu'elle est constamment jugée sur sa seule couleur de peau. La jeune femme tente de s'intégrer rapidement mais au fil du temps déprime. Elle ne décroche pas d'emploi, or ses études ont un prix. Elle vit chez sa tante Juju et garde l'enfant de cette dernière. Ici, pas de cadeau - leur statut privilégié au Nigéria a disparu, la tante enchaine trois jobs pour payer ses études (son diplôme de médecin n'est pas reconnu en Amérique). Ifemelu va traverser une crise identitaire : doit-elle gommer, comme beaucoup de Nigerians, tout trace de ses origines pour augmenter ses chances de réussite ? Ainsi ses compatriotes sont nombreux à effacer leur accent et les femme raidissent leurs cheveux. L'auteur s'épanche longuement sur l'aspect capillaire et j'ai pensé aux actrices Noires américaines face à l'arrivée de Lupita Nyong'o, actrice Kenyane qui ne se raidit pas les cheveux.



Elle ouvre alors un blog où elle confie ses impressions jour après jour : être Noire en Amérique, faire face aux préjugés, au racisme mais découvrir également qu'elle est aussi jugée par ses pairs, qu'elle n'est pas comme les Afro-américains, ces Noirs américains descendants des esclaves. Cette réflexion qu'elle mène dans son blog est retranscrite ici sous forme d'extraits. Tous très pertinents.

"De nombreux Noirs américains disent avec fierté qu'ils ont du sang indien. Ce qui signifie, Dieu merci, que nous ne sommes pas cent pour cent nègres. Ce qui signifie aussi qu'ils ne sont pas trop foncés (Pour être précis, quand les Blancs disent foncés, ils pensent aux Grecs ou aux Italiens, mais quand les Noirs disent foncé, ils pensent à Grace Jones). Les Noirs américains aiment que leurs femmes aient une touche d'exotisme, soient à moitié chinoise ou possèdent une goutte de sang cherokee par exemple. Ils aiment les femmes claires (...) Oh, et les Noirs américains foncés n'aiment pas les hommes clairs parce qu'ils trouvent qu'ils ont trop de succès avec les femmes." (page 242)  

Si les trois-quart du roman jugent assez sévèrement les Américains ou les Anglais (et un peu les Français) mais pour la bonne cause car tout ce qu'elle dit ou pointe fait mouche, elle n'oublie pas non plus de juger son propre peuple. Au début du roman, lorsqu'elle est adolescente, la romancière juge sans détour son pays en proie à la corruption, aux luttes intestines pour le pouvoir, aux affaires douteuses et à la course à la richesse. De retour au pays, celle qu'on surnomme dorénavant "Americanah", a ainsi du mal à s'adapter à ce pays en pleine croissance :

"Le premier contact avec Lagos l'agressa. L'agitation sous le soleil éblouissant, les bus jaunes bondés de corps comprimés, les vendeurs de rue courant en sueur à la poursuite des voitures, les publicités sur les panneaux géants (..) et les ordures s'amoncelant le long des rues comme pour vous narguer. (page 425)

Dorénavant, Lagos se développe à toute vitesse, sacrifiant au passage une partie de son histoire, de sa culture. L'image qu'elle avait gardée en quittant le Nigéria n'est dorénavant plus qu'un souvenir. Le pays avance vite, très vite et comme tout pays du tiers-monde, il ne souhaite garder aucune trace du passé.



La romancière réussit un tour  de force : nous raconter une très belle histoire d'amour tout en partageant haut et fort ses réflexions sur la race ou le statut d'immigrant, et ce sur trois continents (l'Amérique, l'Europe et l'Afrique). Une oeuvre forte et puissante qui vous ouvre les yeux sur la condition des immigrants, des Noirs mais aussi des femmes. Un livre où j'ai appris, où l'auteur m'a ouvert les yeux sur un tas d'aspects que je méconnaissais. Un livre qui m'a fait grandir, j'espère.

J'hésitais à en parler ici, mais ayant étudié dans une université huppée du Sud il y a plusieurs années, je me souviens d'avoir été choquée par certains propos tenus par des professeurs émérites (dont une de Harvard) lors d'une conférence.  J'ai comme, Ifemelu le rapporte, entendu ainsi que le racisme n'existait plus en Amérique. Jamais je n'aurais cru pouvoir entendre ces propos, mais ce fut le cas. En France, le racisme est bien présent, particulièrement en ces temps-ci, il s'affiche plus ouvertement. Il gangrène la société française. Mais jamais un politicien ou un professeur irait soutenir de tels propos. On peut afficher des valeurs républicaines mais on ne nie pas le mal quand on le voit.

Ce jour-là, la dizaine d'étudiants Noirs américains (sur environ 1 200 étudiants), étaient assis dans le fond de la salle. Ce jour-là, j'ai parlé, comme mon amie allemande - on nous a retoqué que nous ne pouvions prendre la parole vu d'où nous venions (pays du Front National et du nazisme... ). Finalement, nous devons notre salut à une vieille Dame du Sud, assise à l'avant, drapée dans sa crinoline bleue, son immense chapeau. Elle s'est levée difficilement, avec sa canne, et a répondu à ma remarque (je m'étonnais du faible nombre d'étudiants issus de minorités dans cette faculté) en m'expliquant que si on trouvait si peu d'étudiants Noirs ici, "c'est parce que le seul objectif dans la vie d'un Noir américain est un jour d'être balayeur au McDonald...".

Un silence gêné a alors empli la salle. Puis mon amie et moi l'avons remerciée pour son intervention, nous nous sommes levées et nous avons quitté la salle, suivie des étudiants Noirs. Ifemelu, se serait elle, assise devant et aurait su comment moucher cette soit-disante politologue d'Harvard.

Lisez Americanah. Moi je vais m'empresser d'emprunter ses autres livres !

6 commentaires:

  1. Je n'avais pas commenté? Allons bon... Ton anecdote de la fin est sidérante.
    Le racisme n'existe plus en Amérique? Ah bon? A en croire l'auteur, on n'est pas sorti d'affaire!
    j'ai vécu en Afrique et ma foi, ça ne s'est pas mal passé (je suis blanche) ^_^
    Ce roman va me rester surtout pour le témoignage de première main et sans fards. J'ignore comment il a été reçu aux Etats Unis.

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    1. Si si tu avais commenté, j'ai dit l'inverse ? Le manque de café sans doute ..
      Oui le racisme n'existe plus, dixit un grand ponte de Harvard.... ;-)
      Il a fait du bruit car pas du tout politiquement correct mais uniquement dans les milieux érudits...

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  2. Au fait, tu as lu Percival Everett, en particulier Effacement? Ou un bouquin de sa femme? Pour prolonger sur le thème.

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    1. Bizarre ce commentaire n'apparait qu'aujourd'hui (le 8 avril...)

      Non, je n'ai pas lu cet auteur mais je vais aller jeter un coup d'oeil. merci !

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  3. Je disais ça parce qu'en arrivant hier je ne voyais rien (et j'ai même déposé un autre comm hier que je ne vois pas)(et le premier non plus, celui d'avant avant)(mais qui mange les comm, ici, non mais? ^_^)

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    1. Oh ma pauvre ! Moi je vois bien tous tes comm que ce soit ici avec Windows ou chez moi sur Mac ;-)

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