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06 mai 2015

Le labyrinthe du silence

Francfort, 1958 - Johann Radmann, jeune procureur ambitieux s'ennuie à ne régler que des infractions routières lorsqu'il croise par hasard le chemin d'un journaliste, Thomas Gnielka, accompagné de Simon Kirsch. Ce dernier, rescapé d'Auschwitz a reconnu l'un de ses bourreaux, devenu professeur dans une école. Lorsque le journaliste interpelle le parquet, aucun procureur ne veut s'en mêler. Radmann accepte de mener l'enquête et exige le renvoi du professeur (les SS Nazis étaient interdit d'enseignement) mais le professeur est toujours à sa place. Presque 15 ans après la guerre, l'Allemagne, en pleine reconstruction, veut tout oublier. D'ailleurs, personne ne sait ce qu'est Auschwitz, le jeune procureur lui-même croit qu'il s'agissait d'un simple camp de travail. 

Au contact de Gnielka et de Kirsch, il découvre avec horreur toutes les atrocités commises par les Allemands et apprend que la majorité des Nazis responsables du camp sont libres comme l'air. C'est en mettant la main sur des documents officiels d'Auschwitz (les Nazis notaient absolument tout, les tentatives d'évasion du camp (traduction : assassinat) ou les violences physiques) que le jeune procureur, soutenu par le plus haut magistrat va décider d'ouvrir un procès à l'encontre des Nazis ayant servi à Auschwitz. Aucun procès n'a jamais été mené par le parquet allemand contre les anciens Nazis. Mais Radmann va être vite isolé, condamné par ses pairs et le peuple entier qui refuse de voir la vérité. 

Je suis restée scotchée devant plus de 2h devant ce film qui aborde un sujet fort peu traité au cinéma : l'après-guerre et le refus pour le pays vaincu de faire face à ses démons. Aujourd'hui 70 ans après, l'Allemagne a fait un pas gigantesque, musées, mémorial.. L'Allemagne a su affronter son histoire mais à l'époque, à peine vingt ans après, le peuple allemand refuse de voir la vérité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 8 000 allemands travaillaient à Auschwitz. La plupart étaient de simples gardiens, mais aucun d'eux n'avait de fusil collé à la tempe. Et lorsqu'on les interroge sur leur passivité à l'époque, ils répondent qu'ils ne faisaient qu'obéir. Certaines paroles sont très dures à entendre, comme cet homme jugé comme trieur à l'arrivée des déportés en gare - il décidait de qui allait vivre (donc travailler) et qui partait directement en chambre à gaz. Son avocat déclare qu'ainsi "il sauvait des vies" (SIC). 


Contrairement à certains films, ici aucune image violente, d'ailleurs lorsque le jeune Radmann (Alexander Fehling) et Gnielka (André Szymanski) se rendent à Auschwitz - celui-ci est à l'époque abandonné, l'herbe a envahi le camp, les fleurs sauvages ont repoussé. L'effroi, l'horreur, le spectateur les voit simplement à travers les regards échangés lors du témoignage des rescapés (plus de 200) avec le procureur ou la greffière. Impensable, inimaginable. 

Le film a opté pour un format classique, se concentrant sur l'histoire et le travail minutieux (nous sommes tout début des années 60, pas d'ordinateur) de ces quelques personnes désireux de rendre enfin justice à toutes ces victimes et surtout de refuser le droit à ces soldats Nazis de se cacher derrière un ordre, derrière Hitler. Le film est évidemment didactique, ainsi découvre-t-on que les Nazis (10 millions d'Allemands ont adhéré au parti à l'époque) documentaient absolument tout et que leurs archives sont soigneusement conservées par les Américains. 

Le talent du réalisateur est de mêler ici l'histoire personnelle (celle de Kirsch, sa femme et ses enfants assassinés), celle de Radmann (qui devra aussi affronter sa propre histoire), celle de Gnielka qui cache un lourd secret face à la grande Histoire et au plus grand génocide jamais orchestré. Radmann, dont c'est le premier procès va, au fur et à mesure qu'il comprend toute l'horreur, plonger dans une forme de dépression, chaque Allemand qu'il croise est forcément un ancien Nazi, comment la jeunesse peut-elle danser et boire quand des millions de victimes reposent tout près ? Dans le plus grand silence ?


Un autre point fort du film est son obsession envers Mengele, le "médecin" Nazi du camp d'Auschwitz qui commit les pires atrocités sur des centaines d'enfants ou de jeunes adultes et qui réussira à fuir à l'étranger mais qui à cette époque-là pouvait encore revenir en toute impunité en Allemagne. 

Entre l'ignorance de la jeunesse allemande à qui on a tout caché, et à la chape de plomb posée sur la guerre par leurs parents, le réalisateur met en avant une époque totalement oubliée par les historiens et la première lueur d'espoir via ce procès. La première fois que les Allemands (le procès de Nuremberg avait été entièrement orchestré par les Alliés) vont jugé leurs pairs. 

Un mot sur les acteurs : j'ai découvert Alexander Fehling, bon j'avoue quand même que son physique, particulièrement agréable (et la mode des années 50 lui sied à ravir) m'a parfois fait un peu oublier l'histoire (mais où se cachait-il?). Je dirais que le charme d'André Szymanski dans le rôle de Gnielka opère pareillement. Tous les autres acteurs sont formidables. 

Une mise en scène classique et sobre signée Giulio Ricciarelli, qui refuse tout misérabilisme, ou sensationnalisme et qui transforme ici un formidable récit historique en un film captivant. et passionnant. 

Ce qui m'a énormément plu dans ce film, c'est de voir ici les prémices de ces Allemands qui ont refusé de croire que les vainqueurs "avaient maquillé les faits", qui ont voulu et obtenu que leurs ainés soient jugés et condamnés pour leurs actes, qui ont fait part de contrition et qui ont permis d'avoir aujourd'hui, comme les meilleurs alliés de la France, leur pays. 

Ma scène préférée est celle de la prière juive dans la prairie verte polonaise. Vous comprendrez quand vous verrez qui la professe. 

Un film à voir absolument.   Sur Nantes, il est diffusé au Katorza en v.o. 

Mon avis : 


4 commentaires:

  1. Je veux voir ce film! il était sur ma liste, avec Caprice, d'Emmanuel Mouret. Je te dirai ce que j'en ai pensé! Des bises

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    1. Caprice, j'aime bien l'actrice principale - tu me diras alors ! Car aucun autre film ne me tente ..

      Vas-y tu ne seras pas déçue !

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  2. C'est un film que je regarderai, je pense, mais pas au cinéma, par contre. Ta chronique en tout cas, me pousse dans ce sens là.. (de le regarder, j'entends). Je suis donc d'ores et déjà conquise.

    Quant à l'acteur, je confirme... Qui est-il, d'où vient-il ;)

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    1. Oui, une révélation pour nous, j'avoue qu'il m'a pas mal hypnotisé pendant le film !

      C'est un film à voir (au cinéma ou chez soi car pas de paysages spectaculaires)

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